Pendant de nombreuses années, l'État mexicain a subventionné les prix des aliments de base, par exemple les tortillas, grâce surtout à des apports de fonds publics qui profitaient tout autant aux riches qu'aux pauvres. Ces subventions dévoraient les crédits et ne bénéficiaient pas aux plus nécessiteux.
Dans les années 90, le gouvernement a donc commencé à éliminer progressivement les subventions générales pour les aliments de base. En 1997, il leur a substitué un programme en faveur des familles pauvres qui s'engageaient à s'occuper convenablement de l'éducation, de la santé et de la nutrition de leurs enfants. À l'heure actuelle, 96 % des subventions alimentaires bénéficient aux pauvres, contre seulement 39 % en 1994.
Selon José Angel Gurría, ministre mexicain des Finances, cette expérience montre que l'on peut conjuguer efficacité économique et efficacité sociale, que l'une ne se fait pas forcément aux dépens de l'autre.
« Il n'y a pas le choix », a affirmé Gurría lors du colloque « Une doctrine économique soucieuse de l'Homme », tenu en marge de l'assemblée annuelle de la BID au début de l'année à La Nouvelle-Orléans. « C'est là une obligation, c'est la mission première des démocraties. Une stratégie économique qui ne prend pas en compte le social ne donnera pas de bons résultats. »
Au cours des deux dernières décennies, l'Amérique latine a été frappée par un nombre sans précédent de crises économiques et de catastrophes naturelles. Or, les pauvres sont tout particulièrement à la merci de l'évolution défavorable des revenus entraînée par ces chocs. La raison en est qu'ils sont tellement proches du niveau de subsistance que la moindre baisse de leurs revenus se répercute sur leur consommation d'articles de première nécessité, et qu'ils ont moins de mécanismes de protection, comme l'épargne, le crédit et l'assurance qui pourraient les aider à tenir le coup lorsque les temps sont durs.
Tout comme les crises économiques aggravent la pauvreté, et partant les inégalités, celles-ci à leur tour amplifient l'impact des crises. D'où un cercle vicieux d'instabilité.
Lors du colloque, le président de la BID Enrique V. Iglesias a dit que les pays d'Amérique latine devaient veiller à ce que la croissance économique bénéficie à la majorité des citoyens et que les politiques économiques doivent prendre en compte la situation des pauvres. Il a notamment appelé de ses vœux la mise en place de mécanismes de protection sociale pour mettre les pauvres à l'abri des crises économiques.
« Nous devons nous attacher à conduire une politique économique placée sous le signe de la responsabilité sociale et, dans le même temps, une politique sociale placée sous le signe de la responsabilité économique », a-t-il dit aux congressistes.
L'ex-directeur du Fonds monétaire international, Michel Camdessus, a dit que la région commençait à bâtir un « nouveau modèle économique » fondé sur l'idée que la croissance en elle-même ne permet pas nécessairement d'atteindre l'équité. Il a appelé à une plus grande convergence des valeurs morales et des exigences d'efficacité dans une économie de marché qui se mondialise.
« La stabilité seule ne suffit pas », a affirmé Camdessus. « Une croissance modeste dans la stabilité ne suffit pas. Chacun aspire à instaurer une croissance de grande qualité et à pouvoir répondre aux besoins sociaux dans le cadre d'une expansion durable. » Il a évoqué les efforts faits par la Colombie et le Mexique pour accroître leur effort social, en améliorant notamment la sécurité sociale, les fonds d'investissement social et les fonds de stabilisation des prix, pour atténuer les coûts sociaux et économiques de l'ajustement.
L'inégalité de la répartition des revenus est l'une des faillites politiques de la dernière décennie. L'Amérique latine reste la région du monde où le fossé entre riches et pauvres est le plus grand.
Par ailleurs, dans le cadre du premier Forum sur l'équité sociale, une nouvelle initiative de la BID, les participants ont fixé leur attention sur la façon de faire entrer en considération l'équité dans les grandes orientations économiques. Le groupe d'experts a reconnu que la stabilité et la croissance économiques sont des conditions préalables pour faire reculer la pauvreté et améliorer la répartition des revenus. En période de vaches grasses, les gouvernements devraient réformer leurs systèmes sociaux et constituer des provisions (car ce pourrait être le moment idéal). Un système social doit à la fois s'attaquer aux causes profondes de la pauvreté et aider à atténuer l'impact des crises.
L'accent a été mis sur la continuité de l'effort social et partant sur l'importance de renforcer le cadre institutionnel. Ayant des recettes budgétaires limitées, les pays doivent cerner de manière précise les dépenses sociales prioritaires. Nora Lustig, chef de l'Unité consultative sur la pauvreté et l'inégalité de la BID, a souligné la nécessité de rendre les dépenses moins conjoncturelles pour ne pas exacerber les fluctuations économiques.
Eduardo Aninat, directeur général adjoint et président du forum, a souligné qu'il fallait étudier davantage l'impact social des réformes économiques au cours des récentes décennies afin de mieux le comprendre et d'en tirer des leçons pour les futures réformes.