La violence quotidienne qui afflige une bonne partie de l’Amérique latine fait de plus en plus obstacle aux efforts que consent la région pour atteindre ses objectifs de développement économique et social et bâtir des sociétés plus démocratiques.
Dans pratiquement tous les pays, la violence se généralise, elle déborde ses frontières socio-économiques raditionnelles pour atteindre des quartiers, des villes et des régions qui ne connaissaient pas ce fléau. Selon de récentes estimations, la région a un taux d’homicides qui est six fois plus élevé que la moyenne mondiale, et les coûts entraînés par la violence représentent environ 14 % du produit intérieur brut de la région.
Les études sur les origines de ce déferlement de violence et de délinquance diffèrent certes dans leurs conclusions, mais elles sont unanimes à dire qu’il s’agit là d’un immense défi pour des institutions publiques longtemps négligées, surtout la justice, la police et les prisons.
Dans certains cas, les faits de violence en Amérique latine contredisent des idées très répandues. Par exemple, selon Fernando Carrillo Florez, spécialiste principal au sein de la Division de l’État et de la société civile à la BID, " les pays les plus pauvres en Amérique latine ne sont pas forcément les plus violents, et les plus développés ne sont pas forcément les moins violents ". Carrillo, qui faisait une communication à une conférence parrainée par la BID en 1998 à San Salvador, a ajouté que la réforme de la justice et de la police représentait le défi le plus grand. La conférence a été réunie sous les auspices du Gouvernement norvégien.
La communication de Carrillo à cette conférence, ainsi que plusieurs autres communications, ont été publiées sous forme d’ouvrage (en espagnol) intitulé Conviviencia y seguridad, un reto a la gobernabilidad [Convivialité et sécurité : un défi pour la gouvernance).
Selon Carrillo, le déferlement actuel de la violence n’est pas causé par des facteurs qui peuvent être isolés — qu’ils soient biologiques, psychologiques ou personnels — mais par une conjonction de structures, de phénomènes et de comportements dans le milieu social général. Il faut donc lutter contre la violence sur plusieurs fronts, à l’école, à l’hôpital, dans les prétoires, les écoles de police et la rue, affirme Carrillo. Dans bon nombre de ces domaines, la BID finance d’ores et déjà des programmes qui aident les États à accroître l’efficacité de leur action. Il y a un autre facteur qui entre en jeu dans le déferlement de la violence : c’est la presse, écrite comme parlée. Selon Santiago Real de Azúa, journaliste qui a collaboré à cet ouvrage et qui est maintenant chef du service de presse de la BID, " il n’y a pas de rapport simple, universel ou automatique entre la presse et la violence". Mais, dans le même temps, note-t-il, " nous ne nions pas que le problème tient en bonne partie au fait que la violence fait augmenter les tirages, qu’elle est un bien de consommation, qu’elle est récompensée par une publicité et un public".
Real de Azúa affirme qu’au lieu d’inciter à la violence, la presse " conforte des attitudes, façonne une conception du monde et inspire une conduite qui presque imperceptiblement dessine et guide notre projet de société ".
Une force indéniable qui sous-tend l’escalade de la violence dans certains pays, c’est le conflit armé, d’hier et d’aujourd’hui. Cette situation, qui est celle de plusieurs pays en Amérique centrale, fait naître des doutes sur l’éventuel succès des efforts visant à mener des réformes socio-économiques et à moderniser l’État.
Au Guatemala, par exemple, où un accord de paix a officiellement mis fin en 1996 à près de quatre décennies de guerre civile quasi totale, un sentiment d’insécurité chez les citoyens conduit certains à préconiser une reprise du pouvoir par les militaires, fait remarquer Richard Aitkenhead Castillo, ancien ministre guatémaltèque, qui a collaboré aussi à l’ouvrage.
Le Salvador est un autre pénible exemple d’explosion de la violence, qui est en partie l’aboutissement d’un conflit armé intérieur qui dure depuis longtemps. Son taux d’homicides de 120 à 140 pour 100 000 habitants est dix fois plus élevé que le taux annuel aux États-Unis, soit le pays développé qui enregistre le taux de violence le plus élevé dans le monde.
Bruno Moro, coordonnateur des activités des Nations Unies au Salvador, note qu’il faut faire un distinguo entre violence et délinquance. Faire un amalgame entre les deux, dit-il, sous-entend qu’il faut faire face à l’une et à l’autre par la prévention et la répression.
" La violence est un phénomène plus vaste qui ne peut être compris que comme un fait de société réunissant comportements appris et habitudes culturelles, marginalisation et exclusion sociale et économique, incertitude et perspectives d’avenir précaires ", écrit Moro.
Dans d’autres pays, la montée de la violence est souvent attribuée à l’aggravation des inégalités et du chômage, qui sont des effets secondaires de la nécessaire restructuration économique. Les causes et les effets de la violence sont comparables aux fils d’une toile d’araignée, qui sont inextricablement imbriqués.
quot; Il y a une certitude, affirme Rodrigo Guerrero, ancien maire de Cali et aujourd’hui consultant auprès de la BID, c’est que l’éradication de la pauvreté et de l’inégalité doit faire partie intégrante de tout plan de lutte contre la violence."