Après avoir dû pendant longtemps sa notoriété au fait qu'elle constituait le dernier chaînon manquant de l'axe routier reliant l'Alaska à la Patagonie, la province panaméenne reculée de Darién pourrait bientôt être connue pour une autre raison.
"Ce que nous faisons dans cette province du Darién sera un modèle pour toute l'Amérique latine", a affirmé le président de la BID, Enrique V. Iglesias à l'occasion d'une réunion en juin, du comité consultatif international qui étudie la préparation d'un projet de développement à long terme pour cette province. Ce projet, en attente de l'approbation finale du Conseil d'administration de la BID en cours d'année, vise à réconcilier l'exploitation économique et la préservation écologique grâce à un processus sans précédent de consultations et de planification au sein de la communauté.
Le Darién est confronté à des problèmes similaires à ceux de nombreuses autres régions en Amérique latine où l'établissement humain en progression menace des écosystèmes irremplaçables. Là où la flore et la faune de deux continents se sont rencontrées il y a 2,5 millions d'années, vit un nombre important d'espèces uniques. Reconnaissant les vertus de cette région pour sa biodiversité, l'UNESCO a déclaré le parc national de Darién un site de patrimoine mondial en 1981 et une Réserve pour les hommes et la biosphère, deux ans plus tard.
La plus grande province du Panama, le Darién comporte également les indices de pauvreté les plus élevés du pays et de loin le taux le plus élevé de déboisement. Une grande partie de ce problème est due au taux de croissance démographique de 4,5 % par an - aussi le plus élevé - ; ces 20 dernières années, le nombre d'habitants de cette province a triplé passant à 60 000.
L'arrivée de nouveaux venus a donné lieu à des conflits parmi les trois groupes ethniques principaux : la population autochtone, les Afro-latino-américains en nombre décroissant, et les colons latino-américains en hausse. La pauvreté globale des sols des forêts ombrophiles ne fait qu'aggraver le problème. Uniquement 7 % environ de cette zone conviennent à l'agriculture, mais près de 21 % sont cultivés à l'heure actuelle. Après que les colons aient épuisé une parcelle de terre, ils se déplacent ailleurs pour faire la même chose, parfois dans des zones revendiquées par les communautés autochtones. D'autres différends existent entre les grands propriétaires terriens et les petits agriculteurs.
Alors que 41 % du territoire de cette province sont protégés, et que les territoires autochtones couvrent 26 % supplémentaires, les frontières sont mal définies et fréquemment ignorées.
Le projet financé par la BID s'attaquera à ces problèmes en ramenant de l'ordre dans ce qui est actuellement un processus chaotique de colonisation et d'exploitation économique. Y figurent des mesures visant à délimiter les zones protégées et les territoires autochtones ; des droits reconnus sur des terres ; la répartition en zones selon l'utilisation des terres, et l'amélioration et la diversification de la production. Une série d'études est effectuée afin de fournir une solide base technique et scientifique.
"Notre objectif est de créer un équilibre dynamique entre les différents éléments en présence : humain, écologique et économique", souligne le chef de projet de la BID, Helí Nessim.
Une route à double tranchant. Les plans relatifs au projet comprennent également la réfection d'une route qui va jusqu'à la ville de Yaviza, au centre de la province vers la frontière colombienne. Même si une route utilisable par tous les temps va certainement accélérer le changement, la majorité des résidents de Darién est en faveur de cette décision. "Nous voulons cette route", a affirmé Narciso Pacheco, membre du comité consultatif et responsable de la réserve autochtone Emberá Wounaan. "Mais nous voulons aussi préserver ce que Dieu nous a donné."
Le moyen essentiel utilisé pour parvenir à un développement méthodique et durable est celui de la concertation avec tous les groupes intéressés, un processus prenant place à une échelle plus grande que pour tout autre projet entrepris antérieurement par la BID.
Les résultats de 45 ateliers qui se sont tenus dans toute la province sont à présent analysés, et environ 60 activités proposées par les participants sont examinées en vue de les inclure au projet.
Entretemps, le comité consultatif s'est réuni trois fois avant le mois de juin, deux fois à Washington et une fois à Panama. Ses membres sont des représentants senior de l'Organisme pour la protection de la nature, le Smithsonian Institute, L'Union internationale pour la préservation de la nature et la Commission centraméricaine sur l'environnement et le développement. Les membres nationaux représentent le gouvernement, l'église catholique, les groupes non gouvernementaux et les communautés autochtones. Des groupes internationaux non gouvernementaux ont été également consultés.
Si ceux qui travaillent sur le projet sont optimistes, ils n'en sont pas moins réalistes. "Quoique nous fassions, il y aura toujours des conflits", a rapporté Hugo Guiraud, membre du comité consultatif et représentant spécial du président panaméen dans le Darién. " Plus que sur des incitations économiques, le projet doit être fondé sur une législation ferme et une forte unité d'exécution entre les agences", a-t-il ajouté.