Les retards sont toujours fâcheux, et c'est d'autant plus vrai quand on achète un ordinateur.
Comme les monnaies dans une conjoncture inflationniste, il faut se servir des ordinateurs tout de suite, sous peine de voir leur valeur et leur utilité s'effacer très vite devant les nouvelles technologies. C'est un aspect vexant de notre société de l'information, mais c'est dévastateur pour les grandes organisations qui se procurent des équipements informatiques par l'entremise d'une centrale d'achats tenue de respecter, pour la passation des marchés, des règles complexes qui font traîner les choses en longueur.
Voyons un peu l'exemple du ministère de l'Éducation dans l'État du Paraná, au Brésil. En 1995, le SEED c'est le sigle du ministère a fait l'acquisition d'ordinateurs pour 1 300 écoles en passant par un mécanisme central de passation des marchés. Pour diverses raisons qui tiennent aux procédures et à la bureaucratie, les machines ne se sont retrouvées dans les classes qu'en 1997.
Cette mésaventure a apporté de l'eau au moulin de l'État du Parana et des hauts fonctionnaires du SEED qui militaient en faveur de la décentralisation de plusieurs aspects de l'administration publique. Certains responsables laissaient même entendre que les écoles elles-mêmes, si elles en avaient les moyens financiers et si elles y étaient habilitées, pourraient se débrouiller beaucoup mieux pour ce qui est de trouver des équipements idoines et de les faire installer rapidement dans leurs classes. D'autres ont exhorté les parents d'élèves à prendre part à la passation des marchés.
« L'idée, c'était que si les écoles et les associations de parents d'élèves étaient associées de plus près à l'achat des matériels, elles auraient davantage le sentiment d'en être propriétaires et en prendraient mieux soin », affirme Richard Pelczar, qui était spécialiste du développement social à la BID au Brésil à cette époque.
À l'été 1998, les fonctionnaires du SEED ont eu l'occasion de mettre leur théorie en application. Dans le cadre d'un programme financé par la BID et destiné à améliorer le réseau de l'enseignement du second degré à l'échelle des localités, des régions et de l'État, le SEED s'apprêtait à faire l'achat de matériels informatiques et d'accessoires pour les administrateurs et à y consacrer 12 millions de dollars. Au lieu de passer une seule commande par l'entremise d'un bureau de passation des marchés à l'échelle de l'État, les responsables ont réparti cette somme entre les écoles en leur donnant la part qui leur revenait.
Mais ce n'était là qu'un début de solution. Car les écoles sont éparpillées dans un vaste ensemble géographique, et la plupart se trouvent dans des villages ou des communes où il n'existe pas une seule boutique d'informatique, et où la concurrence ne peut donc certainement pas jouer. Les fournisseurs sont peu enclins en outre à faire la tournée des écoles pour prendre des commandes de quelques milliers de dollars seulement.
Foire informatique. Pour surmonter ces obstacles, les fonctionnaires du SEED ont décidé de réunir sous un même toit et en même temps fournisseurs et clients. Les écoles peuvent faire jouer la concurrence et ils ont un choix plus large. Les fournisseurs, eux, ont une clientèle plus nombreuse rassemblée en un même lieu. Les responsables de l'éducation dans l'État de Minas Gerais ont utilisé avec grand succès la formule de la « foire informatique ». Les écoles ont pu ainsi acheter des matériels de plus de 20 millions de dollars à des prix défiant toute concurrence, dans le cadre d'un projet financé par la Banque mondiale. Selon Pelczar de la BID, les fonctionnaires de la SEE ont embauché des consultants de Minais Gerais pour les aider à organiser une foire informatique au Paraná. Ils ont aussi adapté un manuel de passation des marchés mis au point à Minas Gerais, qui donne des directives détaillées aux administrateurs scolaires sur les modalités de participation à la foire informatique et sur les documents justificatifs à fournir pour les achats.
Les fonctionnaires du SEE ont ensuite demandé aux fournisseurs qui souhaitaient exposer leurs produits de faire des propositions. Onze sociétés ont répondu à l'appel, et huit d'entre elles ont été retenues. Les responsables ont ensuite fait publier au Journal officiel du Paraná le montant mis à la disposition de chaque école. Et ils ont prévu deux foires de trois jours chacune.
Le succès a dépassé l'attente des uns et des autres, selon Pelczar. Il y a eu plus de 1 800 participants. Les représentants des écoles ont passé la moitié de leur temps à faire du shopping et l'autre moitié à suivre des ateliers de formation à l'informatique. « Les ateliers leur ont beaucoup plu. Ils leur ont permis de faire des choix éclairés et de marchander les ordinateurs pour en obtenir de plus puissants », a-t-il affirmé.
La foire a été placée sous le signe d'un marchandage énergique. « D'abord, chaque école faisait son propre shopping, affirme Pelczar, mais elles se sont vite rendu compte qu'à plusieurs elles pouvaient obtenir de meilleurs prix. » À la fin de la foire, des « cartels » formés de 30 à 40 écoles globalisaient leurs commandes pour faire baisser les prix ou faire augmenter la puissance des matériels. Bilan : les responsables avaient prévu un budget de 12,3 millions de dollars pour l'achat de 6 300 ordinateurs et leurs accessoires, mais les écoles sont parvenues à acheter 7 708 ordinateurs et quelque 200 imprimantes et scanneurs pour le même montant.
Malgré la volonté des écoles de casser les prix, les fournisseurs qui ont participé à la foire n'ont pas été déçus. L'importance du volume des affaires a compensé la faiblesse des prix. « Ils ont bien aimé le fait que dans le cadre d'une foire, les affaires sont beaucoup plus transparentes qu'avec une centrale d'achats », précise Pelczar.
Selon Alcyone Saliba, fonctionnaire de la Banque mondiale qui a contribué à organiser la foire informatique de Minas Gerais, les fournisseurs ont dit et redit que la transparence et la loyauté des transactions en étaient les principaux avantages. « Prenons l'exemple d'une société informatique qui soumissionne en vue d'un contrat de 21 millions de dollars. On peut faire valoir qu'elle a intérêt à verser un pot-de-vin important. C'est dire que le risque de corruption est plus grand dans un tel cas de figure, explique-t-il. Mais lorsqu'il s'agit de vendre à une école ou à un groupe d'écoles, à l'occasion d'une foire ouverte où tous s'échangent des informations sans arrêt, il est beaucoup plus difficile de soudoyer un responsable. C'est ainsi que la décentralisation de la passation des marchés peut réduire le risque de corruption en le répartissant entre une foule de participants. »
Saliba et Pelczar affirment aussi que confier des pouvoirs financiers à des administrateurs scolaires qui n'en ont jamais exercés auparavant présente des risques aussi. Pour prévenir d'éventuels abus, il a été fait obligation aux administrateurs scolaires, dans l'État de Minas Gerais comme celui du Paraná, de lire et de respecter les directives énoncées dans le manuel de passation des marchés. Des firmes ont également été embauchées pour contrôler les comptes pendant et après la foire. Il s'agit de veiller à ce que les achats correspondent à leur but et de justifier l'affectation de tous les fonds.
Jusqu'ici, aucune irrégularité n'a été constatée pour le Paraná. Au contraire, le programme semble avoir amélioré les rapports entre les parents d'élèves et les écoles. La décentralisation des achats de matériels informatiques a permis au personnel scolaire et aux représentants des parents d'élèves de jouer un rôle de premier plan, ce qui s'est traduit par des bienfaits et des avantages immédiats à l'échelle locale. « Cela a favorisé l'autonomie pédagogique, financière et administrative de l'école, et grâce à tout cela les administrateurs scolaires rendent davantage compte aux parents d'élèves de leurs actions. »